Subversifs. Contre leur gré, porte-étendards d’un courant aussi social que musical, JoeyStarr et Kool Shen ont fait éclore le rap en France. NTM, machine destructrice et groupe phare du rap hexagonal. Phare au sens propre, celui qui met en lumière et permet de se situer. Parce qu’il faut dire qu’avant NTM, la culture hip-hop en France était balbutiante, plus qu’underground. JoeyStarr graffeur d’abord, puis danseur avec Kool Shen, et enfin rappeurs tous les deux. Mine de rien, les trois pans de la culture hip-hop. S’il est vrai que d’autres ont accompagné cette naissance du rap français (I AM, MC Solaar), c’est bien NTM qu’on retient à l’heure des comptes.
Parce que le duo dionysien fait forcément et toujours plus de bruit que les autres. MC Solaar, dès le départ, a choisi une direction différente, vouée à l’échec : Un rap édulcoré. Freins enclenchés, MC Solaar est très vite devenu le rappeur de bonne famille, le gentil rappeur noir cultivé. Celui dont on pouvait dire « Mais Solaar, j’aime, et puis quand même, il a fait des études !». En face, deux sauvages rappent primairement, sans technique, hurlent des « Nique ta Mère » à qui veut bien les entendre. Des concerts improbables sur des stades municipaux jusqu’au clip avec Nas, et aux plus grande salles, NTM est dans la conscience collective, LE groupe de rap. Et ce n’est même pas une vision erronée.
Il est possible que les Djs successifs (DJ S. tout d’abord) du groupe ont pu influencer le son de NTM, mais les deux icones étaient Kool Shen et JoeyStarr. Si les yeux sont rivés en permanence sur le second –ce qui est compréhensible-, les deux rappeurs ont eu, chacun à leur façon, la même influence sur le groupe. Il ne faudrait pas croire que JoeyStarr tire le groupe vers le haut. Sans Kool Shen, le Jaguarr perd ses repères et sa puissance inouïe. Le rôle de Kool Shen est plus besogneux que celui de JoeyStarr. Le premier travaille ses textes en temps et en heure, le second n’en fait qu’à sa tête. C’est bien le rap en ligne droite de Kool Shen qui permet au Double R de faire imploser ses cordes vocales, de rapper comme un fou, d’envoyer sa voix partout ou il peut. Véritable bête, sa voix grésille. Des grognements et des sons transformés dans la gorge, là ou on pourrait attendre une scansion claire qui permettrait de bien saisir les lyrics. Les paroles, que certains considèrent comme le seul intérêt de la musique rap, sont en réalités secondaires chez NTM. Oui, les titres et les mots permettent une critique sociale. Mais la violence et la puissance de la musique du groupe de Saint-Denis se suffisent à elles-mêmes et autorisent une compréhension globale du message. Mettre le feu. Représenter. T’insulter.
« Retour en force de l’ordre moral ? »
Quatre albums sur une décennie. Une montée en puissance médiatique au fil des ans qui permettra à d’autres artistes d’accrocher le train en route. « Suprême NTM » est le dernier album du groupe. Point d’orgue d’une carrière tumultueuse et sans concession jusque là (ce qui se passe plus tard, c’est autre chose), cet opus est une rafale de titres surpuissants. NTM ou l’envie irrépressible de tout fumer. Le shit, le CSA, la police, au choix. De représenter aussi, comme je l’ai déjà évoqué. « Seine Saint-Denis Style », musique de puissants, de crâneurs : « On vient de Saint-Denis et on t’emmerde ».
Et puis « Laisse pas trainer ton Fils » ou « Pose ton Gun », moralisateurs, qui répondent à d’autres cris : « On est encore Là » par exemple, un morceau et deux versions pour dire sans joliesse et dans un langage toujours cru, toujours vrai « Nique le CSA ». Ne pas trop réfléchir en amont, et dire ce qu’il y a à dire en somme. Peu importent les lyrics qui dénoncent, qui encouragent ou qui exaltent, peu importe que les paroles ne soient pas au gout de tous, de l’opinion publique ou des politiques, comme c’est souvent le cas dans le rap. NTM est et restera certainement le groupe de rap français qui a compté, et qui peut, sans baisser les yeux –ce n’est de toute façon pas le genre de la maison- soutenir la comparaison avec les plus grands rappeurs d’outre-Atlantique. Le groupe qui a su enflammer son propre esprit en s’appropriant une culture importée mais pas artificielle.
« Danger, Danger, j’ai dis Danger, Danger ! J’me sens à l’étroit, étriqué »
« Hardcore sur le beat ». Si NTM milite, c’est en fait pour une musique libérée de toute retenue. Du hardcore et de la puissance. Représenter encore et toujours,la grisaille du béton de Saint-Denis, comme une fournaise à création du hip-hop. « Suprême NTM » est un grand album de rap français. En résumé : Gueuler, Crâner pour représenter, faire savoir au monde que NTM est ce qu'il se fait de mieux dans son domaine, et que Nique Ta Mère ne se contentera pas de la seconde place. NTM a sans doute écrit une des pages les plus glorieuses de la musique française. JoeyStarr, junky notoire, et mec désagrégé ; et Kool Shen, garde-fou ultime, ont fait avancer la musique sans même s’en rendre compte. Et si l’évolution de leurs carrières respectives ne laisse pas la même impression, ce n’est au final pas très important. Il serait enfin inimaginable de renier NTM pour quelque raison que ce soit. Ils laissent aujourd’hui un cratère béant sur la chronologie de la musique hexagonale : Un pamphlet sonore long de 20 ans.
Romain
Très bon article sur l'évolution de NTM chez Alternative Sound
je ne partage pas du tout ton avis sur cet album qui avait été pour moi une déception. Le vrai chef d oeuvre du disque est pour moi "paris sous les bombes" et sa prod énorme. "iv" est trop propre et possède quand même pas mal de morceaux faibles (ma benz, je vise juste...).
RépondreSupprimerIl n y a pas un morceau à la hauteur de "plus jamais ca" ou "paris sous les bombes" par exemple.
La même année, sont sortis "afrocalypse" d'Afro Jazz et "le combat continue" d Ideal J qui sont pour moi d'un autre calibre.
Si ça t intéresse, j avais déjà parlé de l'évolution d'NTM ici :
http://alternativesound.musicblog.fr/687950/Reformation-d-NTM-quel-interet/
Je suis en partie d'accord pour "Paris sous les bombes" : c'est un excellent album. Je trouve quand même que "Supreme NTM" est un album plus abouti. Techniquement surtout, JoeyStarr et KoolShen n'ont jamais cessé de s'améliorer. Sur "Authentik" par exemple, leur flow était calamiteux, mais on s'en fichait, parce que le truc était là et que ça le faisait. Sur "IV" ça le fait toujours autant, sauf que Kool Shen et JoeyStarr ont un flow plus complémentaire que jamais.
RépondreSupprimerDisons que ce dernier opus est très différent d'un "Paris sous les Bombes" qui est, de l'avis de tous, l'album de la consécration. Mais "Supreme NTM / IV" n'est pas pour moi en deçà : ce sont deux approches différentes notamment au niveau des instrus ! Et puis les morceaux fonctionnent super bien en live.
Et Ideal J, bof moui, non. C'est hardcore, comme le titre d'un de leurs Eps l'indique, mais ça n'a rien de transcendant. Ideal J n'est pas pour moi, un grand groupe.
Ah mais il y a Nyko !
RépondreSupprimerJe me demandais où j'avais vue La cave du Mange Disque ;)
Romain, pas trop d'accord avec ton panégyrique de NTM, il faut croire que c'est au-delà de mes limites que d'aucuns trouvent parfois "limite", ni avec ton appréciation de MC Solaar (pour une fois que je comprends le rap... enfin, il y a quelques autres fois).
Tousapourdire que j'étais venu - voir qui me causait dans le Libellus et - te remercier de ton commentaire auquel je vais répondre à domicile.
Comme souvent, un commentateur gagne son entrée dans mes blinks.
A bientôt.
[salut Nyko !]
Merci de venir voir par ici Lou ! Concernant cet éloge de NTM, je ne remets certainement pas en question son caractère profondément subjectif, et l'omission de quelques éléments moins glorieux de la bio du groupe ! :p
RépondreSupprimerC'était tout juste un parti pris.
Et si je suis blinké, tu seras plus sobrement linké ici !
Salut,
RépondreSupprimerOn a organisé des " contre nme awards". Un concept assez simple où il faudrait voter.
On attend vos choix.
A+
Assez d'accord. Même si je ne pense pas que le dernier album soit le meilleur. Aujourd'hui que du rap aseptisé, prévisible. Sauf La Rumeur sûrement. Qui grandit bien. Qui gonfle. Qui a la plume la plus acérée du rap.
RépondreSupprimerBeaucoup pensent en effet que le meilleur album de NTM est "Paris sous les Bombes" (de peinture bien sûr). Ça se comprend, c'est vraiment l'album de la consécration, et il recèle de véritables Bombes à la puissance destructrice hors du commun. Et je suis en parti d'accord pour dire qu'il s'agit de leur meilleur album. Cependant, ce quatrième opus, IV, rivalise sans problème avec Paris Sous les Bombes. Y'a aussi du très lourd, et c'est un album dont les morceaux ont été très bien portés en live (leur second Zénith était énorme). En plus de ça, on ressent très bien au travers de cet album la métamorphose du rap français. C'est le passage du rap artisanal au truc de pro, avec des grosses productions (après on peut le regretter, c'est un autre débat, mais ça marque un tournant important dans l'histoire du rap français).
RépondreSupprimerConcernant le rap aseptisé, c'est sûr qu'entre les Rohff, Diams et autres Sinik cathodiques y'a pas grand chose à se mettre sous la dent. Mais tu peux chercher du côté de NonStop (si ce n'est déjà fait), un toulousain assez remarquable qui a sorti un seul album ("RoadMovie en Béquilles") et qui nous peint un monde "entre la farce sociale et le porno" pour reprendre ses termes. Un album très sombre et anxiogène, aux antipodes de NTM, largement teinté d'electro et doté d'une puissance inouïe.