dimanche 20 septembre 2009

Kill The Vultures - Ecce Beast


Des instrumentaux empruntés au Jazz, ou les basses et les cuivres se mêlent à la puissance d’une batterie pour se fondre en sonorités mélancoliques et sinueuses. Un flow géométrique, carré et en place, presque déposé sur ces mêmes instrumentaux. C’est « Ecce Beast » de Kill the Vultures !, album autoproduit par Anatomy et Crescent Moon, les deux membres du groupe basé à Minneapolis.

Depuis le premier opus éponyme de Kill The Vultures en 2005, le groupe s’est évertué à créer une musique sans concession ni demi-mesure, très sombre, et fortement irisée de jazz ou de blues brumeux. La batterie ne cesse de marteler un rythme qui n’a rien d’enchanteur (« Spare Parts »), et que l’on retrouve, tout au long de l’album, comme fil rouge de ce voyage entre crasse absolue et jazz de vipères (« 14th St. Ritual »). Parce qu’il y a quelque chose de malsain dans cet album, et parce que Kill The Vultures a su retranscrire en musique une réalité sombre et froide, les dix morceaux qui composent cet opus sont autant de saynètes qui rivalisent de constance, de cohérence et de noirceur.

Les cuivres (que l’on retrouve tout au long du voyage, que ce soit sur « Spare Pants » « Heart of The Night » ou d’autres titres) prennent une dimension très visuelle chez Kill The Vultures : Comme une impression d’assister à un combat anarchique d’instruments, sur background de cieux gris et de friches déprimantes. La contrebasse répond aux trompettes, aux saxophones, tandis qu’au centre, les rythmiques déployées par la batterie se muent en arbitre contraint de frapper dans ce tas d’instruments aux idées de haine et de vices.

Si l’album se conclut par un « Burnt Offering » largement inquiétant et hanté par quelque ectoplasme désespéré, « Ecce Beast » aura tantôt effrayé, tantôt déprimé l’auditeur. Le flow de Crescent Moon se fait l’écho d’instrumentaux toujours noirs et glauques, comme ces néons qui ne s’allument plus que par intermittence. Le plus remarquable concernant ce flow, c’est qu’il parvient à être habité d’une conviction non feinte, alors même qu’il oscille à la lisière du rap et du récit parlé. Une ambiance générale qui n’est, sur le fond, pas sans rappeler ce qu’avait fait le duo rennais Psykick Lyrikah avec « Des Lumières sous la Pluie ». Et si sur la forme, les deux œuvres comparées usent de différents moyens (la veine electro pour les français, et le jazz pour les états-uniens), ces deux albums en appellent souvent aux mêmes sentiments de frayeurs, de désenchantements, et de ténèbres citadines.

Guides touristiques d’un genre très particulier, Anatomy et Crescent Moon proposent à l’auditeur une virée dans les abîmes d’une réalité dont le coté sombre demeure parfois sous-estimé. Véritable parti pris artistique, « Ecce Beast » est un angle d’attaque relativement fataliste, et somme toute réaliste, prompt à provoquer le malaise, malgré une surenchère certaine, bien qu’inhérente à la création de cet album.

Romain.

vendredi 11 septembre 2009

Kid Koala - Carpal Tunnel Syndrome

Je ne vous l’avais pas caché, derrière The Slew, dont je parlais ici même récemment, se cache Kid Koala, Dj Turntablist canadien, originellement signé chez Ninja Tune (label indépendant britannique, et écurie de diverses formations hip-hop et electro : Dj Vadim, Roots Manuva, Daedelus, Amon Tobin…). Originaire de Vancouver, Eric San (Kid Koala), est signé chez Ninja Tune par Jonathan More, membre du groupe electro Coldcut, et, accessoirement fondateur du label en question.

En 2000, Kid Koala livre sa première production studio : « Carpal Tunnel Syndrome ». On remarquera la singularité de la démarche, à savoir, enregistrer et presser sur disque - en studio -, une performance qui se veut le plus souvent live. Parce que ce que propose le turntablist canadien, ce n’est pas du saupoudrage de scratchs sur un quelconque disque hip-hop. Armé de ses platines et de sa vision musicale, Kid Koala use de différentes techniques (scratch, sample, pitch…) qui ne sont que des outils pour arriver au but ultime : une création originale, esthétique et fluide. Comme tout autre genre musical, il est important de noter que si la technique virtuose de Kid Koala est remarquable, ce n’est bien sûr pas (seulement) cela qui pourra susciter l’intérêt pour ce disque. Celle-ci n’est qu’une voie (et quelle voie) autorisant l’artiste à créer une ambiance unique et envoutante.

Relativement courts, les quatorze titres de cet album ne s’embarrassent donc pas d’une surenchère de démonstrations grotesques, et se contentent d’ébaubir l’auditeur, sans qu’il n’ait le temps de s’ennuyer. « Strut Hear », introduction à « Carpal Tunnel Syndrome » est une petite bombe funky d’à peine une minute, tout comme l’est « Roboshuffle ». Kid Koala sait tour à tour métamorphoser sa platine en poulet piaulant (« Like Irregular Chickens »), se mouvoir en trompettiste de talent (« Drunk Trumpet »), emmener l’auditeur pour un farniente sur les plages tahitiennes (« Naptime ») ou le remercier de son attention, et lui dire à la prochaine (« Roll Crédits ») ; le tout dans une ambiance jazzy et cartoonesque, fils conducteurs de cet opus marquant de singularité et de qualité.

Je ne pouvais conclure sans évoquer l’artwork de qualité de cet album, doté d’un livret illustré/BD, qui colle parfaitement à l’ambiance du disque et que vous aurez l’immense plaisir de découvrir en achetant cet excellent album.


Romain



jeudi 10 septembre 2009

Bike for Three! - More Heart Than Brains

Lorsque Buck 65, artiste hip-hop (nord-américain) s’il en est, s’associe à Greetings from Tuskan (dont je n’avais, à dire vrai, jamais entendu parler jusque là), cela donne Bike for Three!. Et quand on sait que cette collaboration est signée chez nos amis d’Anticon, on ne peut s’empêcher de se réjouir d’avance, tant le label a œuvré pour l’évolution et le renouvellement du hip-hop au cours de la dernière décennie. « More Heart than Brains », album au titre évocateur, est donc le fruit d’une collaboration originale, pas improbable pour autant. L’electronica produite par la jeune artiste belge sied parfaitement au flow de Buck 65.

« Beginning » et « Ending », introduction et conclusion de cet album, tendent plus vers l’ambient qu’autre chose, et bien que le cœur de cet opus demeure tout à fait hip-hop et rythmé, il conserve lui aussi une petite touche atmosphérique qui contribue à la cohérence du tout. Une cohérence qui n’était pas courue d’avance. Les deux artistes ne se sont pas rencontrés pour produire ce disque, et lorsque le premier posait son flow vif et habité sur les compositions de la seconde, celle-ci intervenait en retour par retouche. Buck 65 et Greetings from Tuskan ont construit cet album comme on imaginerait le dialogue entre un tailleur et son client (la comparaison peut sembler bizarre, j’en conviens). Au centre, un bel habit brut (les productions envoutantes de GFT) qui doit être retouché, recoupé, pour épouser à la perfection le corps de celui qui portera le vêtement. Un travail d’orfèvre pour l’artiste belge, qui n’a semble-t-il rien laissé au hasard, et a fourni au rappeur canadien des instrumentaux de choix.

Qu’il s’agisse du tube en puissance « No Idea How » et de son refrain martelant, ou du morceau-titre « More Heart than Brains » au cours duquel Greetings from Tuskan donne le change, de sa voix spectrale au flow robotisant de Buck 65, cet album demeure une grande réussite de cette année 2009. Nouvelle preuve qu’aujourd’hui l’imbrication des genres musicaux sait se faire sans accroc ni détail choquant. Au beau milieu de cet opus cohérent et de cette ambiance sonore très spéciale, on retrouve pourtant un morceau qui interpelle. « MC Space » est un titre qui conserve certes la touche electro de la jeune femme, mais qui se rapproche bien plus d’un rap de facture classique, en raison de sa rythmique typiquement hip-hop et du flow pour le coup 80’s de Buck 65.

Doté d’une ambiance spatiale voire parfois computerisée, « More Heart Than Brain » demeure cependant un album on ne peut plus vivant. Totalement cohérent, il est par la même assez difficile d’en faire ressortir un morceau en particulier tant son déroulement est fluide. Aussi, l’atmosphère nuageuse de cet opus ne lui ôte à aucun moment son énergie propre au hip-hop. Et les deux artisans de cette réussite sont parvenus à conserver chacun leurs univers respectifs et ainsi livrer une production équilibrée qui laisse une place au premier plan à chacun d’entre eux. Le tout en proposant à l’auditeur un univers musical hybride, addition remarquable de deux talents qui le sont tout autant.

Romain





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