lundi 23 février 2009

NTM : Suprême


Subversifs. Contre leur gré, porte-étendards d’un courant aussi social que musical, JoeyStarr et Kool Shen ont fait éclore le rap en France. NTM, machine destructrice et groupe phare du rap hexagonal. Phare au sens propre, celui qui met en lumière et permet de se situer. Parce qu’il faut dire qu’avant NTM, la culture hip-hop en France était balbutiante, plus qu’underground. JoeyStarr graffeur d’abord, puis danseur avec Kool Shen, et enfin rappeurs tous les deux. Mine de rien, les trois pans de la culture hip-hop. S’il est vrai que d’autres ont accompagné cette naissance du rap français (I AM, MC Solaar), c’est bien NTM qu’on retient à l’heure des comptes.

Parce que le duo dionysien fait forcément et toujours plus de bruit que les autres. MC Solaar, dès le départ, a choisi une direction différente, vouée à l’échec : Un rap édulcoré. Freins enclenchés, MC Solaar est très vite devenu le rappeur de bonne famille, le gentil rappeur noir cultivé. Celui dont on pouvait dire « Mais Solaar, j’aime, et puis quand même, il a fait des études !». En face, deux sauvages rappent primairement, sans technique, hurlent des « Nique ta Mère » à qui veut bien les entendre. Des concerts improbables sur des stades municipaux jusqu’au clip avec Nas, et aux plus grande salles, NTM est dans la conscience collective, LE groupe de rap. Et ce n’est même pas une vision erronée.

Il est possible que les Djs successifs (DJ S. tout d’abord) du groupe ont pu influencer le son de NTM, mais les deux icones étaient Kool Shen et JoeyStarr. Si les yeux sont rivés en permanence sur le second –ce qui est compréhensible-, les deux rappeurs ont eu, chacun à leur façon, la même influence sur le groupe. Il ne faudrait pas croire que JoeyStarr tire le groupe vers le haut. Sans Kool Shen, le Jaguarr perd ses repères et sa puissance inouïe. Le rôle de Kool Shen est plus besogneux que celui de JoeyStarr. Le premier travaille ses textes en temps et en heure, le second n’en fait qu’à sa tête. C’est bien le rap en ligne droite de Kool Shen qui permet au Double R de faire imploser ses cordes vocales, de rapper comme un fou, d’envoyer sa voix partout ou il peut. Véritable bête, sa voix grésille. Des grognements et des sons transformés dans la gorge, là ou on pourrait attendre une scansion claire qui permettrait de bien saisir les lyrics. Les paroles, que certains considèrent comme le seul intérêt de la musique rap, sont en réalités secondaires chez NTM. Oui, les titres et les mots permettent une critique sociale. Mais la violence et la puissance de la musique du groupe de Saint-Denis se suffisent à elles-mêmes et autorisent une compréhension globale du message. Mettre le feu. Représenter. T’insulter.

« Retour en force de l’ordre moral ? »

Quatre albums sur une décennie. Une montée en puissance médiatique au fil des ans qui permettra à d’autres artistes d’accrocher le train en route. « Suprême NTM » est le dernier album du groupe. Point d’orgue d’une carrière tumultueuse et sans concession jusque là (ce qui se passe plus tard, c’est autre chose), cet opus est une rafale de titres surpuissants. NTM ou l’envie irrépressible de tout fumer. Le shit, le CSA, la police, au choix. De représenter aussi, comme je l’ai déjà évoqué. « Seine Saint-Denis Style », musique de puissants, de crâneurs : « On vient de Saint-Denis et on t’emmerde ».

Et puis « Laisse pas trainer ton Fils » ou « Pose ton Gun », moralisateurs, qui répondent à d’autres cris : « On est encore Là » par exemple, un morceau et deux versions pour dire sans joliesse et dans un langage toujours cru, toujours vrai « Nique le CSA ». Ne pas trop réfléchir en amont, et dire ce qu’il y a à dire en somme. Peu importent les lyrics qui dénoncent, qui encouragent ou qui exaltent, peu importe que les paroles ne soient pas au gout de tous, de l’opinion publique ou des politiques, comme c’est souvent le cas dans le rap. NTM est et restera certainement le groupe de rap français qui a compté, et qui peut, sans baisser les yeux –ce n’est de toute façon pas le genre de la maison- soutenir la comparaison avec les plus grands rappeurs d’outre-Atlantique. Le groupe qui a su enflammer son propre esprit en s’appropriant une culture importée mais pas artificielle.

« Danger, Danger, j’ai dis Danger, Danger ! J’me sens à l’étroit, étriqué »

« Hardcore sur le beat ». Si NTM milite, c’est en fait pour une musique libérée de toute retenue. Du hardcore et de la puissance. Représenter encore et toujours,la grisaille du béton de Saint-Denis, comme une fournaise à création du hip-hop. « Suprême NTM » est un grand album de rap français. En résumé : Gueuler, Crâner pour représenter, faire savoir au monde que NTM est ce qu'il se fait de mieux dans son domaine, et que Nique Ta Mère ne se contentera pas de la seconde place. NTM a sans doute écrit une des pages les plus glorieuses de la musique française. JoeyStarr, junky notoire, et mec désagrégé ; et Kool Shen, garde-fou ultime, ont fait avancer la musique sans même s’en rendre compte. Et si l’évolution de leurs carrières respectives ne laisse pas la même impression, ce n’est au final pas très important. Il serait enfin inimaginable de renier NTM pour quelque raison que ce soit. Ils laissent aujourd’hui un cratère béant sur la chronologie de la musique hexagonale : Un pamphlet sonore long de 20 ans.

Romain

Très bon article sur l'évolution de NTM chez Alternative Sound

jeudi 19 février 2009

Du balbutiement de l'intérêt pour le classique.

La culture musicale s’acquiert au fil des années. La musique en général est un terrain de jeu immense, et tenter de s’y aventurer trop brusquement, c’est la certitude de s’y perdre. Cette sensation de n’avoir aucun repère, de ne pas avoir de points de comparaisons, de panneaux indicateurs, c’est ce qui m’arrive en ce moment : Depuis quelques semaines, j’essaie de m’initier à la musique classique. J’aurais attendu 21 ans pour débuter cette entreprise ambitieuse, autant dire une sacré perte de temps.

A qui la faute ? A moi, c’est certain. Mais pas seulement. Il y a dans la musique classique (n’ayant pas encore acquis le vocabulaire suffisant, on me pardonnera volontiers mon langage orphelin du jargon adéquat) en général, et plus particulièrement chez les auditeurs exclusifs de cette musique, un je-ne-sais-quoi pédant et snob, assez comparable en fait, à ma vision de la musique populaire, et à ma propension à rabaisser la musique du tout-industriel. Mais cette posture n’est pas totalement identique. Pour certains, la musique populaire (non-classique) est profane. Elle n’a pas droit de comparaison avec le classique, pour la simple et bonne raison qu’à priori, le sacré n’a rien à voir avec le profane. La musique populaire serait un enfant renié ; la honte de la famille.

Tout cela n’est qu’une impression, un ressenti face à des comportements. Un professeur qui, d’un ton paternaliste –du ton de celui qui sait – vous assène sans la moindre pitié : « Les jeunes, écoutez de la musique, de la vrai : Écoutez Mozart. Écoutez Chopin. ». Son discours est pourtant celui d’une personne qui ne sait pas. Qui ne sait pas que la musique populaire peut être aussi puissante, aussi sacrée que la musique de nos lointains aïeux. Qu’en effet, il n’y a pas à comparer Beethoven à Jimi Hendrix, Schubert aux Beatles ou Wagner à Radiohead. Pas parce qu’on ne compare pas le sacré au profane. Mais parce que la musique est un art, indivisible, et que si les genres musicaux sont innombrables, il n’existe au final que deux types de musique (vous connaissez la suite). Peu importent les qualités techniques. Si cela était l’essentiel, les Satriani, les Van Halen, le Rock Progressif feraient et seraient les plus belles musiques. Au lieu de ça, se sont les plus grossières, les plus dégoutantes. Pour moi qui arrive d’un univers relativement pop, la qualité de composition de ces artistes classiques n’est pas l’intérêt principal. Le principal, c’est la puissance non quantifiable qui émane des pièces que j’ai pu jusqu’ici écouter. Certes leur talent de composition et de création, parfois la complexité de leur musique sont des outils. Mais ils ne sont pas une finalité. Voilà pourquoi je dis que je n’ai pas à choisir entre Beethoven et Hendrix. L’un n’est pas plus artiste que l’autre. La musique du second n’est pas moins essentielle que celle du premier. Hendrix et Chopin ont fait de la grande musique. A ce niveau là, on ne peut pas jouer à qui a la plus grosse.

Longtemps, le classique n’a été pour moi qu’une musique bourgeoise et poussiéreuse. Les retransmissions télévisées étaient un calvaire. De vieux hommes dégarnis ou bedonnants, l’air hautain, qui jouaient de la musique, tandis que le film était couvert d’un filtre verdâtre et glauque. Ça puait le vieux, le renfermé ; ça craignait réellement. Tout le contraire de ce que j’ai découvert récemment. La musique de Chopin et l’Etude 12, numéro 10 et ses incroyables variations sonores. Le calme, puis la tempête. Une puissance inouïe, une musique rock avant l’heure. Bien plus rock que beaucoup de groupes qui s’en revendiquent aujourd’hui. Et la Sonate 2, Op 35, connue de tous, souvent sans en avoir conscience. La Marche funèbre, dont je n’avais entendu que quelques secondes en boucles en plus de vingt ans. Je crois donc avoir découvert ce qui me plait, et me plaira dans la musique classique. L’énergie rock, la folie, la puissance. Le fait que des notes de pianos et d’autres instruments acoustiques puissent créer le chaos autour d’eux. Ce qu’on retrouve chez Chopin, chez Beethoven aussi.

Le problème, c’est que lorsqu’on souhaite découvrir la musique classique, on trouve très peu d’aide. On doit se débrouiller seul ou presque. Les conseils paternalistes ou méprisants de ceux qui savent, l’incessante glorification de cette musique, le combat d’arrière garde qui les anime, la volonté que le monde reste dans son ignorance s’il n’accepte pas de renier sa culture musicale et de dire « Oui, la musique populaire est blasphématoire, honteuse et profane. Il n’y a que la musique classique qui soit un art noble ». Je ne veux pas de leurs conseils à eux. A l’inverse, et plus putride encore, André Rieu, et sa prétendue tentative de démocratisation industrielle de la musique classique. La démarche de Jean-François Zygel me semble plus respectable. Pas puriste non plus, mais digne, ludique et amusante, son émission télé permettait à l’ignorant le plus complet que je suis, d’acquérir les toutes premières bases d’une musique qui reste aujourd’hui encore, représentée par un certain nombre de personnages pédants, chiants et puants.

La musique en général est un terrain de jeu immense, et tenter de s’y aventurer trop brusquement, c’est la certitude de s’y perdre. Depuis quelques semaines, j’essaie de m’initier à la musique classique. J’ose espérer que cette entreprise me permettra de découvrir toujours plus de musique intéressante. Désormais je sais que si je veux du classique, ce sera pour le feu et la décadence. Peut-être une mauvaise raison, mais une raison quand même. Si je n’ai aucune légitimité en ce qui concerne cette musique, je ne m’interdis pas combler mes lacunes. Partiellement dans un premier temps, soyons humbles. Sur le théatre de ma ville, une citation d'André Malraux : "La culture ne s'hérite pas, elle se conquiert" (Discours sur l'Acropole). Pas sûr qu'elle soit ici dans le bon contexte, mais force est de constater que, malgré les outils dont nous disposons (l'internet en fait largement partie), la conquête reste laborieuse.

Romain.

PS : vous l’aurez compris, je serais très heureux de recevoir une multitude de conseils pour m’aiguiller. Tant qu’ils ne sont pas ponctués d’un infâme « C’est tout de même autre chose que… ». Merci !

Photo : Chopin, fin de vie.

mercredi 18 février 2009

Zone Libre, Hamé et Casey - L'Angle Mort


En préambule, je remercie Alternative Sound d’avoir évoqué l’Album de Zone Libre & Hamé & Casey, L'Angle Mort, sorti ce mois-ci. Cette collaboration osée nous montre bien une nouvelle évolution de la musique francophone. Dos à dos pendant longtemps, rap et rock étaient aux antipodes de la carte musicale française. On se souvient NTM qui voulait tuer le rock en s’appropriant son énergie. Rien de tout cela aujourd’hui avec Zone Libre (Teyssot-Gay – Noir Désir–, Cyril Bilbeaud, Marc Sens), Hamé (La Rumeur), et Casey, qui proposent pour la première fois en France une furieuse fusion Rock/Rap. On est bien sûr bien loin des caricatures telles que Linkin Park et autres. On est en revanche plus proche de ce qu’avait fait La Rumeur sur son dernier album, avec le morceau « Je suis une bande Ethnique à moi tout Seul », déjà à l’époque en collaboration avec Serge Teyssot-Gay.La genèse de cette fusion date de 2001 déjà, époque ou La Rumeur faisait les premières parties de Noir Désir.

« Angle Mort » est un album sombre, et violent. L’électricité du rock se mêle sans problème avec la hargne du rap, ce qui tend à prouver qu’en musique, ils n’y a pas de mauvaises expériences, mais de mauvais chimistes. Ici, la batterie est puissante et martèle le rythme sans hésitation, les guitares se répondent en permanence. A la première, grasse et saturée, les notes de la seconde, tirées en rafale, lui répondent et s’enfuient vers des aigus indécents. Le tout donne une musique folle, noire et bruyante.

Les deux rappeurs quant à eux, Casey et Hamé, distillent leurs flows puissants, répétitifs, ce qui nous permet de nous imprégner de l’ambiance sonore (à laquelle ils contribuent totalement), et de rentrer de plein pied dans le disque. Comme dans les albums de la Rumeur, les lyrics se veulent dénonciateurs, mais jamais simplistes. Aisément reconnaissable, le flow de Hamé tient la baraque, rappe horizontalement, sans fioritures. Casey se charge de la verticalité avec un flow moins posé, mais tout aussi puissant. L'avant-dernier titre « La Chanson du Mort Vivant » aurait aussi pu donner son titre à cet opus. Elle nous embarque dans une virée grise et urbaine, contemporaine surtout. Zone Libre, Hamé & Casey parviennent totalement, avec leur musique dépravée et décadente, à montrer à l’auditeur une facette de ce qu’est, au final, la subversion en musique.

Zone libre, comme son nom l’indique, envoie moisir tous les codes plus ou moins établis en terme de musique. Un son en dehors des sentiers battus, qui sans se soucier de la prétendue distance entre les deux genres, nous rappelle avec talent que rap et rock sont, et ont toujours été très proches.

Romain.

lundi 16 février 2009

Orelsan - Perdu d'Avance

Il y a quelques jours j’évoquais la sortie du premier album du rappeur Orelsan. « Perdu d’avance » débarque finalement aujourd’hui chez les disquaires, et j’ai écouté cet album. Finalement, il faut bien avouer qu’il s’agit d’une demi-déception.

Le plus décevant étant sans doute la production dirigée par Skread (Booba, Diams). Il se trouve que l’utilisation abusive de vocoders et autotunes à été de mise sur l’album, clairement pour suivre une grosse tendance de ce début d’année 2009 (divers exemples au hasard : La Fouine, Kanye West). Là ou on attendait de l’originalité de la part d’un rappeur qui se veut en dehors de la mode actuelle, on retrouve sur l’album l’un des procédés les plus usités du moment. Ca commence sur le titre d’ouverture « Etoiles Invisibles », et ça continue façon Daft Punk sur « Soirée Ratée ». Ces modifications vocales sont enfin utilisées sur « Entre bien et Mal » et « La peur de l’Echec ». Pas adepte des vocoders, je trouve que cet album a déjà perdu quelques points de crédit rien qu’avec cela. Si certaines tentatives ne sont pas trop loupées, la plupart d’entre elles sont tout de même relativement piteuses, d’autant plus qu’une version plus analogique aurait bien mieux sonné semble-t-il.

Aussi les productions de Skread, si elles savent parfois marquer par leur efficacité, ne sont généralement pas enthousiasmantes. Elles font cependant le travail pour accompagner le flow d’Orelsan qui, s’il n’est pas le plus technique qu’on n’a jamais entendu, est quant à lui original, et en adéquation avec les lyrics. Attention cependant, Orelsan n’est pas un Fuzati génétiquement modifié, et contrairement à celui-ci, le rappeur caennais dispose d’une certaine technique, même si celle-ci n’est pas foudroyante.

« J’distribuais des CDs dans l’hexagone pendant qu’tu distribuais tes CVs dans les Mac Do.
Alors j’comprends qu’tu voudrais faire un feat., mais moi j’voudrais un Big Mac et une grande frite ! »


Mais il est clair que l’intérêt de l’album est ailleurs. Orelsan est un énorme punchlinemaker. Loin d’un discours formaté, il rappe en vrille, fait rire souvent avec textes cruels, drôles, désabusés aussi. Dans le rap, certains évoquent souvent la crédibilité artistique. Orelsan balaie tout ça d’un revers de manche, et y va même de quelques pics envers certains rappeurs : « Continue de rapper des mythos, tu l’fais si bien ! Tu parles de douilles et d’plomb mais t’es électricien » (Jimmy Punchline).

Les morceaux ne sont pas tous de qualité égale, et l’album alterne en permanence entre hauts et bas. Parmi les bas, il y a « Logo dans le ciel ». Un son trop lourd, qui se traine, et qui manque cruellement de fluidité. On retiendra malheureusement aussi « Gros poisson dans une petite Mare » et son refrain chanté par des enfants, ce qui n’est pas une franche réussite.

Mais avant de pouvoir apprécier tous les lyrics de ce premier opus, il faudra l’écouter quelques dizaines de fois (ce que certains n’arriveront pas à faire, la faute aux défauts précédemment cités qui peuvent être rédhibitoires). Les thèmes, entre cul, humour et dépression, sont souvent traités sous un angle novateur. « Perdu d’Avance » n’est pas qu’un disque de blagues, c’est aussi un album sombre qui évoque une certaine réalité. Derrière une légèreté de façade, on trouve le récit d’un quotidien maussade plus en profondeur. Loser de ville de province, Orelsan rappe pour ceux qui lui ressemblent. Pas hype, pas gangster, juste la retranscription d’une certaine médiocrité assumée : « Perdu entre les bonnes meufs intouchables, les beaux gosses populaires, les p’tits bourges prétentieux, les gamines rebelles trop vulgaires […] C’est pour les gens différents, les déviants, les feignants » (No Life).

« J’ai peur d’être normal, d’être moyen : ni trop mal ni trop bien ;
j’crois que j’sers à rien »


Etrangement, cet album, dans la dualité de thèmes légers et noirs, pourrait faire penser à celui de James Delleck. Entendons nous bien, certainement pas au niveau de l’écriture, ni des thèmes abordés, bien sûr. Mais l’alternance de titres légers et d’autres plus graves sont présents sur les deux opus. Ca sera par exemple « 15 ans » chez James Delleck, et « Entre Bien et Mal » ou « La Peur de L’Echec » notamment chez Orelsan. La comparaison s’arrête en revanche ici. Aucun autre rapport entre les deux rappeurs. Par ailleurs le caennais n’avait pas spécialement besoin de rapper sur des thèmes fondamentalement sombres : au fil des titres, certaines punchlines désabusées nous prennent par surprise.

Finalement, Cet album est agaçant. Parce qu’il aurait pu être une bombe dévastatrice en ce début d’année 2009. La faute aux productions, ce n’est pas le cas. Rien à dire en revanche sur les lyrics d’Orelsan, foisonnants, divers et très bien écrits pour la plupart. Heureusement, Orelsan n’a pas eu la mauvaise idée de ne placer sur son premier opus, que des morceaux cocasses qui l’auraient à coup sûr fait plonger dans la caricature du rigolo découvert sur internet et oublié aussi vite. On espère pour lui en tout cas.

Romain

samedi 14 février 2009

Psykick Lyrikah - Des Lumières Sous la Pluie

Le problème du rap en France, c’est qu’il ne sait pas être tempéré. Soyons clair, la France a toujours été un grand pays de rap, aussi vrai qu’elle n’a jamais été un grand pays de rock. Le problème donc, c’est que le rap en France file à toute allure d’un extrême à l’autre. Il y a bien sûr les Ovnis, mais en dehors de ça, on a le choix entre le rap des rigolos et celui des bœufs à phallus prétendument surdéveloppé.

Au milieu de tout cet univers bouillonnant pourtant, certains groupes parviennent à emprunter une autre voie. C’est le cas de Psykick Lyrikah, groupe rennais, qui sort en 2004 son premier opus : Des Lumières sous la Pluie. Une galette teintée d’electro, résolument rugueuse, sombre, et empreinte de mélancolie et de rage.

Appuyées par la production parfaite de Teddybear, les diverses compositions de cet album contribuent à la mise en place d’un décor nocturne et glauque même, parfois. Une musique qui s’octroie une part de choix et qui joue à armes égales avec le flow et les paroles d’Arm, le MC du groupe. Pour exemple, de nombreux titres sont des instrumentaux : « Fraction » avec Robert le Magnifique, ou encore « L'Homme errant » avec le guitariste Olivier Mellano (qu’on retrouve sur « Trois Lettres Rouge sang » et son riff post-blues). Ces instrumentaux viennent s’immiscer entre les titres rappés comme autant d’interludes capables d’immerger l’auditeur dans cette rêverie grisâtre. Une rêverie qui n’en a que le nom. Une virée dans les nuits urbaines, pluvieuses et sans un sourire.

Les ambiances particulièrement sombres sont retranscrites à la perfection par les textures sonores de TeddyBear. « Vois » par exemple, et ses vagues aiguës et sinueuses, ou bien encore le dernier morceau de l'album : « Des Lumières Sous la Pluie ». Celui-ci marque l’auditeur par sa force. Une intensité sonore et musicale, amplifiée tant par le flow d’Arm, que par ses lyrics (Mention spéciale sur l'ensemble de l'album au talent d'écriture indéniable d'Arm, et à son rap habité). « Des Lumières sous la Pluie » est peut-être, s'il fallait n’en citer qu’un, le titre le plus abouti de ce premier opus. On mentionnera enfin le single « La Sphère », tout à fait représentatif du reste de l’opus, qui se conclut par une envolée de Scratch assez bluffante.
Il convient enfin de souligner l'extrême classe des paroles, poétiques peut-être, en tout cas absolument fluides et recherchées. Alors qu'on nous vend depuis quelque temps des morceaux à texte pour nous cacher une absence de création musicale originale ; Psykick Lyrikah prouve que textes de qualité n'interdisent pas les compositions réussies et travaillées.

« Des Lumières sous la Pluie » est un album de hip-hop français comme on n’en trouve que trop rarement. Des instrus sombres et dérangeantes, qui fuient souvent vers l'electro, et le flow d'Arm, ses lyrics, font de cet opus un objet unique. Le sceau « Psykick Lyrikah » a entre autres choses le mérite d'être reconnaissable parmi cent. Au delà du rap des rigolos, Psykick Lyrikah nous propose, à mi-chemin entre noirceur et mélancolie, un rap français, à la fois indépendant, sombre, et réussi. Et plus encore que des sentiments et des émotions, cette œuvre promet à l’auditeur une virée introspective. Il faut prendre le temps de rentrer complètement dans l’album de Psykick Lyrikah, prendre le temps de décortiquer tous les lyrics pour enfin entrevoir le sens de cet opus. : Une certaine remise en question, un face à face avec une réalité sombre, mais pas désespérée pour autant. « Et des victoires faussées par l’ennui, belles comme des lumières sous la pluie ».

Romain.

vendredi 13 février 2009

Radiohead - Amnesiac


Quelle mouche m’a piqué ? J’entends venir au loin les conseils un brin inquiets : « Mais Romain, que fais-tu, tu parles d’un album du plus grand groupe contemporain (NDLR : pour schématiser), tu vas te faire lyncher sur la place publique par les blogs musicaux enragés. Ta chronique va forcement provoquer controverses et accusations ! » (J’espère bien !).

Mais avouons le, rien de tel qu’une chronique d’un album de Radiohead pour attirer le chaland n’est-ce pas ? Certes, pas de « Karma Police », ni même de « Creep » (merci mon dieu !) sur Amnesiac (2001), mais un chapelet de morceaux qui, réunis, forment selon moi, le meilleur album du groupe britannique.

Parce que « Amnesiac » n’est pas un banal album. Il métamorphose un grand groupe en pionnier d’un genre, en chercheur d'or. Si l'opus précédent était l'occasion de rentrer d'un pied dans l'electro et la créativité vraiment, les guitares électriques y étaient tout de même très présentes. Faisant fi des déclarations publiques à la sortie de Kid A, au cours desquelles le groupe promettait un retour à un son plus rock, « Amnesiac » porte son titre à la perfection. Comme un pied de nez à la presse et aux auditeurs ; Radiohead a souvent eu la bonne habitude de prendre tout le monde à contre-pied.

Amnesiac est un album froid, taillé dans un ordinateur malade, fatigué. Les ombres des glaciers du nord dansent en contrebas des onze pièces originales de cet opus. Capable de déconstruire un morceau pop, de le passer au filtre des robots, et de le jouer et le chanter, comme souvent, à la perfection, le groupe originaire d'Oxford ne fait jamais rien comme on peut l'attendre. Si l'album est enduit d’une couche d’acier froide et grise, et les expérimentations traversent de part en part le travail du quintet britannique, les morceaux de pop, de ceux qu'on cite sans problème comme des références, sont toujours présents.

Radiohead et sa logique implacable, son sens de la mélodie, de l'idée qui va transformer un morceau sympathique en œuvre d'art, de l'expérimentation utile et réussie. Le groupe parvient parfois à canaliser tous les traits de ce portrait pour créer des chansons intemporelles. Pas les plus connues du grand public. Les « Creep » et consorts sont de jolies chansons, mais ce n’est certainement pas là-dessus que Radiohead se démarque de la masse.

Si « Knives Out » ou bien encore « Pyramide Song » marquent par leur évidence pop, leurs mélodies soignées ; ces titres ne sont pas non plus les plus essentiels de cet album. Certains penseront que « Pyramide Song » est un chef-d’œuvre, comme « Everything in its Right Place » en était un sur « Kid A ». Je ne peux décemment pas contredire cette affirmation qui relève du bon sens. Mais mon discours est tout autre, et la question est la suivante : Quels sont les titres les plus essentiels de cette album? Quels sont ceux qui poussent l'imaginaire du groupe le plus loin, et qui tentent d'approcher, sans se mentir, l'essence de la création?

S’il me semble que plusieurs pièces d’Amnesiac pourraient prétendre à ce rang de prestige, la folie d'un en particulier semble plus apte que tous les autres à y accéder. « Life in a Glasshouse ». Le titre est lâché, sans hésitation possible. Un morceau à l'évolution lente et dramatique, marqué par ombres glacées, directement extraites d'une section de cuivre aussi improbable qu'imparable. Ce morceau n'est pas une furie rock, ce n'est pas le titre efficace d'un groupe sûr de lui. C'est au contraire un morceau un peu mal en point, un bonhomme un peu chétif, pas très beau, la paupière tombante. Ce morceau c'est un peu Thom Yorke.

La froideur et la distance apparente, la protection, que les cuivres -qui tentent de se rappeler le jazz- n'arrivent pas totalement à semer. Une sorte de distorsion entre deux points opposés qui déchire le morceau pour lui offrir une incroyable puissance. Un crescendo à bout de souffle, tout comme la voix de Yorke, pour conclure un grand album en explosion sonore : On détruit tout.

Romain.

jeudi 12 février 2009

Rock Playlist Conquest

G.T (encore et toujours lui) proposait récemment à chaque blogueur (ou non-blogueur d'ailleurs) de composer une playlist dans le cadre du "Rock Playlist Conquest" ; et en anglais dans le texte s'il vous plait ! Aussitôt dit, aussitôt fait (ou presque), et voici ma petite playlist personnelle, pas très cohérente, je le concède, peut être trop ecclectique, je ne sais pas.
Enfin bref, La cuvée de La Cave, ça donne ça :



Romain.

Ddamage - Radio Ape


Terroristes en guerre contre tympans formatés, les deux frères du groupe dDamage livrent « Radio Ape » en 2004. Si l’on devait classer cet opus, on dirait qu’il est le rejeton d’une electronica dérangée et d’un hip-hop noisy. Rentrer pour la première fois dans Radio Ape n’est pas une sinécure, et l‘auditeur vierge de ces sonorités sera sans doute déstabilisé, tant les sons et les bruits sont foisonnants, se mêlent, et semblent complexes à déchiffrer.

Après plusieurs écoutes néanmoins, le troisième album des frères Hanak livre ses secrets plus en détails. Du puissant, du lourd, du saturé : une musique anticonformiste, expérimentale, pousse-au-crime. Et « Pressure », titre d’ouverture, est en parfaite symbiose avec cette ambiance. Une rythmique imposante de laquelle jaillit une multitude d’effets sonores en fusion. Dans la même veine, « I Feel so Badd » est certainement le titre le plus rock de cet opus. Un riff déconstruit côtoyé par un chant grésillant, presque inaudible.

Si la puissance sonore est une qualité chez Ddamage, le groupe sait par ailleurs accorder quelques répits à l’auditeur. Sur « Aeroplane » par exemple, ou encore « Agueev » ou les rythmiques se veulent moins matraqueuses, au profit d’un beat composé de dizaines d’éléments distincts. De la complexité, il y en a chez Ddamage : Certes leurs compositions furieuses et saturées offrent à l’album une puissance inouïe, mais leurs productions retenues servent de contrepoids parfait, et contribuent au maintien d’un équilibre certain.

Et « Tsunamii », titre de clôture, jouit d’un crescendo sonore extravagant et parfaitement réalisé. Sorte de translation du post-rock à la musique de Ddamage, « Tsunamii » ne cesse d’évoluer au fil des minutes. Tout en conservant le même thème, les ingrédients viennent un à un s’ajouter au squelette du morceau, pour former finalement une cacophonie grandiose.

Romain.

Ferme ta gueule ou tu vas t'faire marie-trintigner !


Moi qui tapais récemment sur les Inrocks, c’est finalement chez eux que j’ai pu lire la bonne nouvelle. La nouvelle en question, c’est la sortie du premier album ("Perdu d’Avance")du rappeur normand Orelsan, dont je parlais déjà ici.

« Perdu d’Avance » sort donc le 16 Février. N’ayant pas encore écouté l’album, je ne peux pas en parler (logique oui), mais tout le monde pourra se faire un avis en écoutant les extraits de l’album sur le Myspace d’Orelsan. On peut déjà évoquer son flow improbable et unique, mais aussi et surtout sa propension à aligner les punchlines sans se freiner. Le MC originaire de Caen propose un rap réaliste aussi drôle que sombre. Et sans trop s’avancer, on peut dire que ce debut album montre encore une fois la créativié du hip-hop français. Certains n'aimeront pas, c'est certain, mais c'est au moins à écouter.

Romain.

mercredi 11 février 2009

Birdy Nam Nam - Manual for Successful Rioting


Birdy Nam Nam : Groupe de Djs turntablists français. Ont par erreur sorti un album éponyme enthousiasmant. Reviennent en 2009 avec un second opus, « Manual for Successful Rioting ». En partie produit par Justice…
Comment avons-nous pu être si naïfs ? Bernés par des gens ayant sévi aux côtés d’Alliance Ethnik, de Raggasonic, de Triptik. Si l’album éponyme apportait de la fraicheur à l’électro française, ce second opus est une catastrophe dancefloor. Et ce n’est pas l’avis des Inrocks - et autres références - qui me fera changer d’avis.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’album ne fait pas dans la finesse. Quel mal à cela, me direz-vous. Aucun en principe, mais lorsque dans les faits cela ressemble à cette livraison, ça pose beaucoup plus de problèmes. Les quatre Djs, dont on pouvait légitimement fonder grand espoir d’être porte-étendards français de cette discipline, se sont métamorphosés en faiseurs de sons lourdauds, puissants certes, mais qui n’ont pour but que de faire danser clubbers déchirés. Et si certains titres échappent à cela (Space Cadet Apology), ils s’enferment tout de même dans une production du passé, ce qu’avait largement esquivé l’opus précédent, tentant la fusion des genres sans trop de casse. Pas de manuel pour émeute réussie. Nulle part.

« Trans Boulogne Express » est une référence à Kraftwerk ? C’est tout au plus un pastiche de Daft Punk. Et pour le coup, le titre « Homosexuality » aurait pu figurer sur l’album de Sébastien Tellier, tant les nappes sonores se drapent d’une même couche de moisissure.

Que penser enfin de « Worried » ! Je ne dis même pas que ce morceau est inaudible. Là n’est pas le propos, et ce n’est de toute façon pas exact. La question fondamentale est la suivante : Dans quelles conditions un tel titre peut-il être apprécié ? Et force est de constater que les circonstances dans lesquelles « Worried » (et autres) peut être écouté sont plus que minces. Un morceau pour Dj de club, rien de plus. A deux heures du matin, pour donner un coup de chaud, parfait, tout ça. Mais essayez juste d’écouter ce morceau comme on écoute n’importe quelle musique, en partant du postulat qu’il s’agit, à priori, d’une œuvre d’art : C’est dans des conditions normales d’écoute que l’album de Birdy Nam Nam prend toute son ampleur dans le grotesque. Une musique qui ne peut pas exister en dehors d’un carcan très fermé, codifié.

Si la formule journalistique surannée veut qu’on aborde un second album sous l'angle de la confirmation, celui de Birdy Nam Nam est une déception. En dehors de toute référence à la discographie du groupe, c’est juste un mauvais disque.

Romain.

lundi 9 février 2009

Playlist, Part.I

De jolies chansons, il en existe beaucoup. Le plus difficile étant de faire tomber l’amateur de musique dans un environnement extrait de tout cynisme. Parce que nous le savons, le chroniqueur est moqueur et sans pitié. Par-dessus tout, il raffole de certains termes. Au hasard : mielleux, grotesque, pathétique, cliché, sirupeux, et j’en passe.

Je disais donc qu’il existe une multitude de jolies chansons, et en tous genres. Moins cependant que de chansons niaises et débiles, d’un sentimentalisme outrancier ; à en gerber. Courir arracher l’émotion à l’auditeur, par des moyens douteux, et à des fins peu avouables. Facile de faire le distinguo cependant entre les deux. Les unes arrivent à grands pas, se dandinent, jouent la comédie. Leur geignardise nous irrite dès les premières secondes. Les autres se faufilent aux oreilles comme une évidence, sans nous laisser le temps de cogiter trop longtemps.

Cette classification, bien que subjective, ne laisse pas tant de place au hasard que cela. La majorité des titres grotesques sont repérés au premier coup d’œil par la plupart des gens sensés. Il existe cependant des exceptions, des cas particuliers, des controverses ; la musique n’étant heureusement pas un domaine de thèses établies et irréfutables. Entendons nous bien : dans la limite du raisonnable et du bon gout.

Voici donc une playlist de dix-huit morceaux de classe supérieure. Par leur intensité inouïe, ou simplement parce qu’elles relèvent d’émotions fortes. La colère, la mélancolie, le spleen, etc. Pas de continuité stylistique en revanche, juste des titres sélectionnés avec toute ma subjectivité ; et un zeste de bon sens, aussi.




Romain.

samedi 7 février 2009

Why? - Alopecia


Une note de six sur dix pour « Alopecia » de Why?. Ça ne se fait pas. Ça ne se fait vraiment pas, pourtant, notre ami G.T a osé, à mon plus grand dam. Que tout le monde se rassure, je ne vais certainement pas aligner les coups en dessous de la ceinture ; ça ne se fait pas, paraît-il, entre blogueurs. Mais tout de même, il a avoué, au travers de son classement, préférer Foals (palpitant), à mon petit protégé, l’Américain du label Anticon, le trouvant « surestimé » (promis, les dénonciations, c’est terminé !).

Why? n’est pas un banal groupe de pop. Il nous offre la joie, au fil de ses albums et autres Eps, de constater son incessante évolution musicale. Une évolution dans un labyrinthe, une toile musicale, des portes d’entrées et de sorties aussi nombreuses que trompeuses. Une évolution dans un univers de débrouille sonore, de petites arnaques : collages, découpages et idées foutraques, en tous sens, sans jamais cesser de servir sa propre musique. De ce troisième opus, difficile de ne retenir qu’une chose. On reconnaitra en revanche que Yoni Wolf se mue en paon un brin crâneur, dès le premier titre « The Vowels Pt2 ». Paon crâneur parce que relativement sûr de lui, l’Américain propose un titre imparable. La rythmique originale à souhait, la basse comme un marteau qui enfonce le clou d’un chant en dehors de toute comparaison possible. Si ce premier titre est une grande claque, Yoni Wolf, malgré les apparences, n’ôtera jamais son costume d’antihéros touchant.

Imposant son style là ou d’autres paraitraient ridicules, Why? et sa voix servent à la perfection une production d’une grande inventivité. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Américain n’a pas hérité d’une grande voix, ou plutôt, qu’il n’était pas spécialement prédisposé à être chanteur. Disons en revanche que les phrasés hérités de l’aventure Clouddead, les intonations qui font mouche par leur exactitude musicale, ou la voix reconnaissable parmi cent, font de Why? non seulement un chanteur atypique, mais aussi et surtout brillant. Depuis longtemps maintenant, on sait que les grandes voix ne font pas les grands chanteurs.

Si la voix du chanteur est un atout de l’album, si les compositions marquent par leur originalité, les textes de la formation ne laissent pas l’auditeur en reste. Les lyrics, comme toujours depuis les débuts d’Anticon, oscillent allègrement entre humour déroutant, poésie surréaliste et noirceur enfantine. En témoignent les étranges paroles de “Good Friday” (« if you grew up with white boys/who only look at black and puerto rican porno/cause they want something that their dad don't got/then you know where you're at » ). Étranges affirmations pour étranges morceaux. Rien d’anormal tout compte fait !

Et au groupe de dérouter l’auditeur en lui faisant quelques frayeurs ! L’intro de « These Few Presidents » par exemple, et sa boite à rythme chétive et sans saveur. Finalement, le morceau se met en place au bout de quelques secondes, et la grâce de Yoni Wolf reprend le dessus sans forcer. Chaque morceau est équipé d’un passeport sonore, directement sorti d’une cervelle en ébullition : plus qu’une voix, Why? est un concept. Sous couvert d’une musique pop de facture classique, le groupe (tiré vers le haut par un frontman génial) tente de multiples expérimentations sans rebuter par une quelconque difficulté d’accès.

Je ne ferais pas un catalogue de l’album, morceau par morceau. Aucun intérêt. On retiendra en revanche la classe de cet opus, jus de musique concentré à son maximum, sans temps mort, sans futilités, sans même un raté. De ses débuts hip-hop, il ne reste ici que quelques incursions timides, comme des réminiscences de créations passées. Si sa musique va de l’avant, Why? gravit sans inquiétude, une nouvelle marche. Ce n’était pas la première. Pas de classement pour cet album, pas de titre de gloire non plus, il n’en a pas besoin.

Romain.

vendredi 6 février 2009

Sebastien Tellier - Sexuality (ou pas)


Une infâme jardinière de légumes, époque cantine scolaire. Voilà ce qu’est « Sexuality », par Sébastien Tellier. Cet album est à l’électro ce que le sky est au cuir, Skyrock au rap ou U2 au rock : En clair, la plus basse fange. Comment la critique a-t-elle pu, majoritairement, saluer un album de ce niveau ? Encore aujourd’hui cela reste un étrange mystère. Tout de même, la hype n’explique pas tout. Ne peut pas tout expliquer. De « Sexual Sportswear » (le single, un chemin de croix de sept minutes, autant dire une éternité !) à « Pomme », en passant par le grotesque « Roche », rien à sauver de ce Titanic.

Parlons-en de « Roche », puisque la musique prime sur le reste. Une mélodie dégoulinante, appuyée par un timbre de voix et une interprétation maniérés au possible. On est déjà pas loin de la machine à claques. Rien de spécial à signaler sur le beat en revanche. C’est fade. Quand aux textures électroniques, elles nous rappellent les balbutiements de la musique par ordinateur, et son lot de sonorités cartonneuses. Il en sera ainsi sur tout l’album. Mais le plus effarant est à n’en point douter « Kilometer », comme une improbable fusion entre Michael Jackson, Pharell Williams et les années 80. Un monstre en somme.

« Sexuality » est un naufrage. Et si le capitaine du navire tente de sauver ce qui peut l’être encore sur « Divine », force est de constater que ses efforts sont vains. Le tube semble plus digne, moins piteux que le reste de l’opus, et si la mélodie demeure une semi-satisfaction, le titre n’en reste pas moins trop rigide, factice. Les sommets de « Sexuality » sont des collines, ses minutes creuses en revanche, rivalisent de profondeur.

« Sexuality » n’a d’évocateur que le nom. Rien de profondément sexuel par ici, ça ne pue même pas le sex-shop vicelard. Rien ! C’est bien beau de vouloir parler cul et jouer la carte sulfureuse, mais les intentions ne sont pas des actes.

Romain.

jeudi 5 février 2009

Caught by the Fuzz


De nombreux groupes ne parviennent au sommet de leur art qu’avec le premier titre de leur carrière. Ca ne veut pas dire que tout le reste de leur discographie est en deçà, mais que ce premier titre, celui qui lance une carrière, est doté d’une énergie phénoménale. Et les exemples sont légion. Dans les années 90, l’illustration la plus flagrante de cette idée est certainement « Caught by the Fuzz » de Supergrass.

Un morceau adolescent, pourvu d’une sève diabolique et d’une candeur, crétine pour certains, enivrante pour d’autres. Un titre d’à peine plus de deux minutes, à mi chemin exactement entre pop et punk. Contant la mésaventure d’un gosse choppé par la police pour détention de C., le sujet du titre n’est pourtant pas essentiel.

Plus important, l’instinct rock de ce power trio, et l’intensité du chant rageusement projeté par le guitariste Gaz Coombes, font de ce titre un classique de rock britannique 90’s. Extrait de « I Should Coco », leur premier album (1995), « Caught by the Fuzz » s’élève au dessus de la mêlée, et surpasse sans problème l’autre tube de ce premier opus (« Alright »). Par la suite, aucun de leur demi-douzaine d’albums n’a révélé un morceau d’une telle ampleur rock. Supergrass a certes continué à composer de bons titres, mais plus un seul n’a jusqu’ici retranscrit la même urgence d’entre deux âges.





Romain.

Beirut - Gulag Orkestar


La vingtaine tout au plus, et déjà un talent d’une extrême insolence. Zach Condon n’entame pas encore sa troisième décennie, que le très balkanique « Gulag Orkestar » s’impose dans les bacs, comme un cheveu sur la soupe musicale ambiante.
Pari osé s’il en est, Beirut propose une pop aux saveurs d’est européen. Et tant pis pour les comparaisons d’usage aux films d’Emir Kusturica et autres disques de Goran Bregovic. Analogie aussi complaisante qu’inexacte. Parce que le jeune américain propose brillamment, au fil de ce premier opus, une musique originale, mélancolique, gorgée d’émotion ; et aux fanfares orientales de surélever le tout.

A mi-route entre pop, folk et musique traditionnelle, « Gulag Orkestar » n’en finit pas de dévoiler ses charmes. La voix de Condon, d’une classe presque indécente, rendrait jaloux bon nombre de chanteurs, à n’en pas douter. Gracieuse, alerte et prenante à la fois, elle agit sur cet opus comme un coup de poing supplémentaire, alors même que la musique aurait pu se suffire à elle-même. Une musique hybride justement : les guitares se mêlent allègrement aux trompettes, parfois aux notes synthétiques pour former des pierres taillées à la perfection. Zach Condon fait perdre à l’auditeur toute notion de réserve ou de méfiance. Sans crier gare, sa musique pénètre l’esprit pour lui interdire tout penchant réfractaire.

Échappée belle vers une soif de liberté, cet album est un road-trip initiatique en terres tziganes. Et si « Scenic World » est un sentier vers l’électronique, c’est pour mieux rappeler qu’une musique folk traditionnelle n’est pas pour autant une musique du passé. En phase avec son époque, Zach Condon impose une certaine mélancolie poétique, sans pour autant nous embarrasser d’un passéisme brutal.

L’art de construire des ponts en tous genres : Géographiques bien sûr, temporels aussi, mais surtout des ponts musicaux : « Gulag Orkestar » est un album de métissages sonores. Comme une photo décatie, la couleur musicale de cet opus s’enfonce loin dans les jaunes («Bratislava »), et les tons orangés (« Postcard From Italy »). Agissant tel un caméléon, Zach Condon et sa musique virent au vert, sur un titre final (« After the Curtain ») duquel de légères notes électro émanent, accompagnées d’applaudissements bien mérités.

Au final, onze titres et autant d’escales improbables. Virée romantique et désuète, ou pèlerinage sans motif annoncé, « Gulag Orkestar » nous empoigne en Allemagne de l’est et nous mène de Bratislava aux confins de la Slovaquie, le plus loin possible, pour virer au sud parfois, jusqu’en Bulgarie, à l’orée même de la Turquie.

Romain.

mercredi 4 février 2009

Clouddead


Clouddead. Comme l’impression d’être tombé en troisième dimension. Le trio magique du label anticon (DoseOne, Why ? et Odd Nosdam) livre une première bombe à retardement en 2001, lorsque le debut album du groupe américain émerge de leurs imaginations. Dotée d’une véritable vision musicale, la formation impose ses idées au sein d’un opus revendicatif. Si réinventer la musique est trop ambitieux, il ne reste qu’une alternative : la faire évoluer.

Et le premier titre de l’album, « Apt. A (1) », n’intervient pas pour renier ce postulat. On y découvre une musique inconnue jusqu’alors, qui serpente dans les esprits comme elle traverse les ambiances soniques. Du rap à l’ambient, en passant par un abstract hip-hop dissonant et rafistolé, « Clouddead » est un coup de maitre. Les nuages synthétiques sont superposés à des sons intriguants, inquiétants parfois. Ces derniers, remplacés par une armée de flows fêlés et de beats engorgés d’eau, ne sont là que pour marquer l’évolution dans cet univers parallèle.

Des morceaux fleuves, qui enjambent l’obstacle des cinq minutes sans lasser l’auditeur, mais en proposant systématiquement une musique immersive au possible. Immersive, mais complexe à décrire, tant les variations rythmiques et mélodiques sont fréquentes : Sans aller jusqu’à dire que chaque morceau est un album, il est assez clair que chacun d’entre eux pourrait être décomposé en plusieurs chapitres.

Certes, les idées foisonnantes des trois musiciens tendent parfois vers un fouillis quasi-généralisé, mais l’intention est tellement louable, que les quelques passages un peu lourds se font aisément oublier à la faveur d’un disque ambitieux et original. Mélancolique, poétique et sombre, « Clouddead » nous dévoile un hip-hop anti-gangsta, sans pour autant paraitre gastéropode. Pis encore, cette galette se révèle indispensable. Les innovations sonores de cet opus en font un élément fondateur d’un hip-hop qui se veut alternatif, différent des machines de guerres rutilantes. Clouddead est une référence, Anticon sa base de lancement.

Romain.

Copenhague


Tout le monde, à un moment ou un autre, est tombé en admiration devant un morceau. Pas forcément parce qu’il était composé à la perfection, encore moins pour sa délicieuse mélodie. Non, sur un seul critère affectif, certains titres nous marquent. Cela ne veut pas dire qu’ils sont mauvais, mais cela signifie que les critères habituellement objectifs en matière de musique sont tout à coup désuets. Ces morceaux ont souvent un dénominateur commun, ils nous ramènent à notre propre existence, nous font envoyer le bon sens aux orties et nous emportent dans une rêverie mélancolique, un spleen en dehors de toute considération objective.

« Copenhague » est de ceux-ci. Et l’artiste qui a créé ce morceau n’est pas spécialement connu du plus grand nombre pour ce genre de chansons. Inutile de vous dire de qui il s’agit, déjà parce que dans ce cas précis, la chanson importe plus que l’artiste, mais aussi parce qu’en l’écoutant, la plupart d’entre vous reconnaitra le grain de voix du monsieur (Allez, la pochette de l'album a tué mon suspens, c'est bien Katerine). Un titre de chanson française (pour ne pas dire variété) d’une rare beauté offerte par un pitre métamorphosé en amoureux aussi crédible qu’inattendu. Tel un acteur comique qui révèle tout son talent dans son unique rôle de clown triste.

Rien de rock à Copenhague, de la neige tout au mieux. Rien de sulfureux, sinon la classe extrême d’une chanson qui ne sombre jamais dans le grotesque. Bien sûr, tout le monde ne peut pas être ouvert à cela. L’état d’esprit doit, à n’en pas douter, rendre l’auditeur enclin à s’imprégner d’une ambiance. Les goûts musicaux aussi, peut-être.

Guimauve ?
Oui.

Romain.





lundi 2 février 2009

Britney Spears - Blackout


Parfois, certaines choses nous échappent. Blackout en fait incontestablement partie en ce qui me concerne. Parce qu’il est la création d’une icône bitch-pop à la fois niaise et scandaleuse, et qu’il tranche étonnement avec la discographie passée de cette hydre à trois têtes qu’est Britney Spears. L’hydre de Lerne exactement : Les multiples facettes de la personnalité de la popstar sont autant de têtes à couper. Et, comme dans la légende, l’une d’elle se veut immortelle. La comparaison s’arrête en revanche là : Si Hercule parvint à se débarrasser de la créature ; les multiples détracteurs de l’américaine n’y sont toujours pas parvenus.

Malgré les chansons niaises et sirupeuses, ou celles qui vieillissent véritablement mal, malgré encore ses frasques extra-musicales, la chanteuse revient en 2007 avec un album qui, s’il ne fait pas taire toute critique, est en revanche une œuvre respectable. Mainstream au possible, Mademoiselle Spears propose un album qui n’est pas dénué de tout sens artistique. Les tubes, sans être totalement creux, s’enchaînent aisément, et l’album se termine sans avoir eu le temps de nous ennuyer en profondeur.

L’album s’ouvre sur « Gimme More », titre produit par le petit alchimiste de Timbaland, Danjahandz. S’il s’ouvre sur un sulfureux « It’s Britney bitch ! », le morceau complet ne renie pas le moins du monde cette mise en bouche. Sonorités électro soutenues par rythmique binaire. Et un chant aux intonations provocatrices pour faire brûler le tout. Salope autoproclamée dès ce premier titre, Britney Spears laisse enfin tomber les insinuations peu claires : On ne peut que s’en réjouir.

Il faut cependant bien comprendre que Blackout n’est pas qu’une intention, une idée ou un manifeste. C’est véritablement un album de musique. Un bon album qui plus est. Le second titre, « Piece of Me » est sans aucun doute le meilleur argument pour étayer mon propos. Il vous suffira de l’écouter attentivement, si ce n’est pas déjà fait, pour vous rendre compte du virage musical de la jeune américaine. Une instru imparable, entre electro, jungle et hip-hop accompagnée par une mélodie à la fois réfléchie et limpide. L’impression que la mélodie est exactement taillée dans la musique instrumentale, ce qui n’est pas toujours le cas. Et ce n’est pas fini, puisque le troisième titre, Radar, forme avec les deux autres, un étonnant triptyque : un cent pourcent après trois titres sur un album de Britney Spears. Est-ce une farce ? Un rêve ? Même pas, juste un fait.

L’album n’est tout de même pas de bout en bout de la même trempe, et je ne voudrais pas faire passer Blackout pour un classique, un incontournable ou que sais-je encore. Il s’agit tout simplement d’un album satisfaisant, et qui, comme tous les disques de ce genre, contient de petites perles (outre les titres évoqués, on peut par exemple mentionner « Get Naked »), mais aussi de gros ratés, notamment en fin d’album, (« Why Should I Be Sad », navré Pharell).

Si Mademoiselle Spears n’est pas une artiste inattaquable, et si elle n’est pas la reine du bon gout, sachons rester mesurés à travers nos critiques. Oui, lorsqu’on est biberonné à l’indé, il est difficile de reprendre goût à la grosse machine mainstream. Oui, c’est vrai, la carrière de BS a jusqu’ici été jalonnée de nombreuses erreurs, fautes de gout et autres albums exécrables. Mais non, tout n’est pas à jeter, et enfin oui, Blackout est un album de qualité dosée, comme dirait le roi.

Romain.

Nouveau départ

C'est désormais un fait : le MangeDisque se retranche dans sa cave.

Pourquoi? Motivé par une envie de changement, de fonctionnalité et de sobriété, j'ai décidé, tout en ne reniant pas le MangeDisque, d'évoluer vers plus de simplicité. En apparence déjà : Moins de couleurs criardes, de vidéos futiles. C'est aussi la fin des lecteurs deezer systématiques. Si je ne m'interdis pas de les utiliser, ils seront en revanche moins présents, et remplacés, la plupart du temps par quelques liens sélectionnés avec soin.
Aussi, le navire que je quitte tout juste n'a jamais été ouvert aux commentaires, ce qui à été une grossière erreur de ma part. En voulant substituer les réactions immédiates des lecteurs par un forum presque caché (comme l'étaient les articles), j'ai fais perdre au blog une grande part d'interactivité et de spontanéité.

La ligne directrice ne change en revanche pas. Le but du jeu étant d'écrire quelques articles tout en essayant de proposer un axe de lecture d'une œuvre musicale. Encore ici, l'actualité n'est pas la principale contrainte. Et le plaisir de faire partager mon analyse d'une oeuvre -qu'elle soit récente, poussiéreuse, bonne, mauvaise, reconnue ou obscure - avec les lecteurs sera mon leitmotiv. Plus question non plus de n'évoquer que les albums qui me sont familiers et que j'apprécie. Vous (= les lecteurs en fait !) serez invités à me proposer des disques que je n'aurais jamais eu l'idée d'écouter, à me contredire avec hargne et férocité, de telle sorte que le dialogue qui va s'instaurer ici sera -j'en suis certain-, constructif au possible.

En résumé, ça va être cool.

Romain.
UA-7372634-1