Des instrumentaux empruntés au Jazz, ou les basses et les cuivres se mêlent à la puissance d’une batterie pour se fondre en sonorités mélancoliques et sinueuses. Un flow géométrique, carré et en place, presque déposé sur ces mêmes instrumentaux. C’est « Ecce Beast » de Kill the Vultures !, album autoproduit par Anatomy et Crescent Moon, les deux membres du groupe basé à Minneapolis.
Depuis le premier opus éponyme de Kill The Vultures en 2005, le groupe s’est évertué à créer une musique sans concession ni demi-mesure, très sombre, et fortement irisée de jazz ou de blues brumeux. La batterie ne cesse de marteler un rythme qui n’a rien d’enchanteur (« Spare Parts »), et que l’on retrouve, tout au long de l’album, comme fil rouge de ce voyage entre crasse absolue et jazz de vipères (« 14th St. Ritual »). Parce qu’il y a quelque chose de malsain dans cet album, et parce que Kill The Vultures a su retranscrire en musique une réalité sombre et froide, les dix morceaux qui composent cet opus sont autant de saynètes qui rivalisent de constance, de cohérence et de noirceur.
Les cuivres (que l’on retrouve tout au long du voyage, que ce soit sur « Spare Pants » « Heart of The Night » ou d’autres titres) prennent une dimension très visuelle chez Kill The Vultures : Comme une impression d’assister à un combat anarchique d’instruments, sur background de cieux gris et de friches déprimantes. La contrebasse répond aux trompettes, aux saxophones, tandis qu’au centre, les rythmiques déployées par la batterie se muent en arbitre contraint de frapper dans ce tas d’instruments aux idées de haine et de vices.
Si l’album se conclut par un « Burnt Offering » largement inquiétant et hanté par quelque ectoplasme désespéré, « Ecce Beast » aura tantôt effrayé, tantôt déprimé l’auditeur. Le flow de Crescent Moon se fait l’écho d’instrumentaux toujours noirs et glauques, comme ces néons qui ne s’allument plus que par intermittence. Le plus remarquable concernant ce flow, c’est qu’il parvient à être habité d’une conviction non feinte, alors même qu’il oscille à la lisière du rap et du récit parlé. Une ambiance générale qui n’est, sur le fond, pas sans rappeler ce qu’avait fait le duo rennais Psykick Lyrikah avec « Des Lumières sous la Pluie ». Et si sur la forme, les deux œuvres comparées usent de différents moyens (la veine electro pour les français, et le jazz pour les états-uniens), ces deux albums en appellent souvent aux mêmes sentiments de frayeurs, de désenchantements, et de ténèbres citadines.
Guides touristiques d’un genre très particulier, Anatomy et Crescent Moon proposent à l’auditeur une virée dans les abîmes d’une réalité dont le coté sombre demeure parfois sous-estimé. Véritable parti pris artistique, « Ecce Beast » est un angle d’attaque relativement fataliste, et somme toute réaliste, prompt à provoquer le malaise, malgré une surenchère certaine, bien qu’inhérente à la création de cet album.
Romain.